ex libris Naissance et renaissance du paysage

« Naissance et renaissance du paysage »

La 1^ère édition par Actes Sud de « Naissance et renaissance du paysage » de Michel Baridon, date d’Octobre 2006. Ce livre passionnant mérite d’être cité, d’autant que le chapitre d’introduction « Le paysage d’aujourd’hui » « invite à un travail de réflexion sur des questions qu’on ne peut escamoter » dans le contexte du PADDUC et des PLU qui n’en ont guère fait l’écho. En voici quelques extraits, qui risquent d’éveiller les curieux et les amoureux des paysages qu’ils vivent au quotidien ou qu’ils découvrent en voyage.

« Les mots d’une langue sont comme les visages d’une foule, foisonnants, perdus dans la masse, mais vivants. Quand l’œil de la mémoire passe sur eux, ils s’animent, ils s’éclairent, ils parlent, et certains plus que d’autres. Paysage est de ceux-là. Ses consonnes sont nettes, ses proportions sont bonnes, ses voyelles se marient bien, et sa finale en –age s’allonge aisément pour lui donner du souffle. Et du souffle, il en a besoin, car il a beaucoup à dire. » … .

« Un mot que l’on associe à de nouveaux métiers ou à des changements d’attitude devant la mort n’est pas anodin. Il l’est d’autant moins qu’il déborde la sphère des mentalités pour envahir celle des idées et des lois.

Dans ce dernier domaine, sa carrière est particulièrement brillante. Il ne figurait pas dans les premiers textes qui, en 1906, protégeaient ce qu’on appelait alors « les sites et monuments naturels de caractère artistique. Il ne figurait toujours pas dans l’importante loi de 1930 « relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaires ou pittoresque ». En revanche, il est apparu en pleine lumière en 1945 dans la loi qui instituait une « commission supérieure des sites, perspectives et paysage » dont elle reconnaissait « l’intérêt général ». Il a progressé ensuite à pas de géant avec la création des parcs nationaux, du ministère de l’Environnement et du Conservatoire du littoral. Et on peut remarquer qu’il s’entoure maintenant de termes issus de l’écologie, ce qui montre que grâce à lui le législateur cherche à assurer une protection à la fois scientifique et esthétique de la nature. Il vient de franchir un nouveau pas, et non des moindres, avec la Convention européenne du paysage promulguée à Florence en octobre 2002, où il est défini comme « une composante fondamentale du patrimoine naturel et culturel de l’Europe ». … .

« Geoffrey Jellico, qui fut l’un des grands paysagistes du XX^e siècle, disait dans son dernier livre : « Le monde entre dans une phase de son histoire qui verra peut-être l’architecture du paysage devenir le plus complet de tous les arts³. » De fait, les relations du paysagiste avec le botaniste, l’ingénieur, l’hydraulicien, l’urbaniste, le peintre, le sculpteur, l’architecte font de lui un artiste doublé d’un technicien ; ses compétences multiples font penser aux grands artites de la Renaissance, Alberti, Léonard de Vinci, Raphaël, qui s’illustraient aussi bien dans le monde des sciences et des techniques que dans celui de l’art. » … .

« Ces artistes travaillent dans l’éphémère. Refusant les règles du marché de l’art, ils servent le matériau qu’ils ont choisi. Le paysage où ils sont intervenus étant intransportable, ils acceptent que leurs œuvres disparaissent et que le visage de la nature se referme sur elles. Leur engagement d’artiste rejoint les vœux de certains de nos contemporains qui souhaitent, après leur mort, laisser leur image se fondre dans celle d’un paysage.

Nous nous trouvons donc dans une phase de l’histoire qui rappelle la Renaissance ou le Romantisme, époques où ont changé tout à la fois le sentiment de la nature, l’idée du beau et de la manière d’être au monde. Cette fermentation intellectuelle touche, comme nous l’avons vu, les médias, la littérature, les sciences humaines et les arts. On comprend qu’elle ait pu faire naître des discussions passionnées sur ce qu’est exactement le paysage et sur le rôle qu’il joue dans le monde où nous vivons. » … .

« Le paysage est devenu dans nos sociétés le pôle où se concentrent tous les moyens dont nous disposons pour mettre en œuvre une nouvelle relation à la nature. Veiller à la qualité d’un paysage urbain en arbitrant des conflits entre promoteurs et habitants d’un quartier n’a rien d’un exercice d’école. Obtenir de certains agriculteurs qu’ils participent à la conservation d’un paysage dans l’intérêt du tourisme local n’est pas chose qui dépend d’une envolée verbale. Défendre le Conservatoire du littoral contre des investisseurs trop pressés demande des arguments solides. Or, l’horizon marin c’est l’absolu du paysage, et le contempler en paix c’est le droit de tout homme.

Il importe que dans ces problèmes de société, les causes importantes soient défendues par des arguments solides appuyés sur des précédents que l’histoire peut fournir. Elle seule peut expliquer les situations présentes pour ouvrir les perspectives. Chaque fois que le patrimoine est en cause, elle fait entendre sa voix, et nous devons faire en sorte qu’elle parle avec plus d’autorité encore parce que le paysage est devenu, nous l’avons vu, l’expression tangible de notre patrimoine naturel. Or, nous savons que ce patrimoine est menacé et sa protection nous concerne. » … .

« Partant de l’idée qu’un paysage est un tout qui se comprend à tous les sens du terme et sachant que nous ne sommes jamais indifférents à son spectacle, je poserai la définition suivante : « un paysage est une partie de l’espace qu’un observateur embrasse du regard en lui conférant une signification globale et un pouvoir sur ses émotions. »

Au fil des chapitres qui suivent, je mènerai une enquête sur pièces. Persuadés que les lecteurs ne sont pas indifférents à ce qu’ont pensé et construit les hommes du passé, persuadé aussi qu’ils cherchent à les comprendre pour se comprendre eux-mêmes, je pense que mon travail consiste à leur fournir des pièces à conviction sous la forme de citations substantielles. Ces citations mettront en parallèle l’art des jardins, la peinture et la littérature sans craindre des incursions dans l’histoire des sciences et des techniques. Ainsi apparaîtront les transversales qui trament le paysage dans le lourd tissu de l’histoire. »

A vous lecteurs de poursuivre les paysages du monde antique, des romains, des barbares, des chrétiens, des byzantins, des païens, des nordiques, et de découvrir la renaissance du paysage.